Tuesday, October 2, 2007

Marie botturi

A travaillé dans le journalisme, la formation, puis, après avoir enseigné les
techniques de vente, est devenue professeur.
Nombreux poèmes publiés en revues (Froissart, Friches, Arpa, Vivre en Poésie,
Nouveaux Cahiers de l'Adour...).
Donne des conférences et anime des soirées poétiques et musicales à Paris.

A publié :

- L'ETREINTE ARRACHÉE (Edit. Saint-Germain-des-Prés, 94).
- A L'AUBE DE TES MAINS (La Bartavelle-Editeur, 95).
- LE MIROIR DU RÊVE (La Bartavelle-Editeur, 96).
- VERS LES JARDINS (La Bartavelle-Editeur, 97).
- ANTHOLOGIE DE L'OEUVRE DE JEAN SULIVAN
(avec Marguerite Gentzbittel, Edit. Gallimard, 96).
- LES MAINS DE LA TERRE (La Bartavelle-Editeur, 2000).


Trois chants extraits de LES MAINS DE LA TERRE.

(La Bartavelle-Editeur, Collection :Le manteau du berger.)

CHANT PREMIER

Vois-tu,
il me semble
que je marche vers toi depuis toujours.
Toujours
j'ai ignoré ton nom, ton visage,
tes mains.
Toujours
j'ai espéré la saveur de tes gestes
et craint pour ta liberté.

Dans le silence des cris,
j'ai le coeur dans la bouche.
A voix nue,
je marche dans l'ouvert
du manque.
Comment s'agenouiller ?
Me voilà encore
à trébucher
dans l'écartèlement du désir.

Parfois,

les mots d'angoisse dessinent une mouette.

Voilà,

je suis l'oiseau blanc,
le cri sur la lande,
le cri qui me parle.
J'écris sans mots,
mon corps trace son poème.
Je viens de naître.

Je bois le lait de la terre,
j'ai rendez-vous avec le miel.
Je capte le soleil,
j'ouvre les visages et le ciel.
Je laisse des signes sur la mer.

Ai-je jamais vécu
Dans les ombres sourdes ?

Ce frémissement dans l'air,
ces herbes languissantes,
est-ce le chant qui monte ?
Quelle absence
suis-je en train de guetter ?

Non, ne montre pas ta face,
oublie même mon visage.
Le vent plaintif rôde dans les coeurs.
Donne-moi juste la force
de traverser les heures grises,
le destin ténébreux.

*

Non, Orphée,
il ne faut pas se retourner.
En arrière,
c'est toujours la tristesse des soirs de solitude,
la mémoire en dérive de nostalgie.
C'est rien d'autre
que la désolation.

Ni hier ni demain non plus,
Orphée.
Mais maintenant, oui,
possible, riche d'impossibles et d'inconnus.

Marchons à grands pas,
mains grandes ouvertes,
scrutons les ténèbres.
Nous ne savons pas où passe la route de la lumière.
Viens-tu, lumière ineffable, comme le songe de la nuit ?
Cherches-tu ton chemin parmi les ombres indécises
pour venir jusqu'à nous ?

La nuit s'égoutte sur les toits,
entre par la fenêtre,
couvre le plafond.

Ô nuit,

laisse tomber les rideaux tendres
pour un frais réveil du matin !
Je voudrais ne plus lutter contre le sommeil,
rejoindre chaque soir le sentier de la musique
et que la terre entière vive en moi.

CHANT DEUXIÈME

On ne peut s'avouer l'absence.
Revoir une brosse à dents,
un peigne, un rasoir,
un stylo, quelques lignes qui traînent,
trop déjà.
Et que dire du livre
dont la page est marquée,
pensées où bruissent des pas ?
Que dire d'une photographie
où le regard cherche les mains ?

Ces flèches qui vrillent le plexus
dans les nuits de printemps.
Les étoiles qui brillent sur l'oreiller,
le drap qu'on tire sur la tête
pour cacher son froid.
Dans le noir on cherche encore
la consolation :
d'où pourrait-elle venir ?

Attendre encore,
et recommencer
on ne sait quoi ni comment.

Crier

comme un navire abandonné,
comme une pierre oubliée sur la route.
Cri que personne n'entend,
cri dans le monde d'indifférence,
maisons fermées,
portes blindées, verrouillées,
tables désertes,
jamais une table et un couvert pour la souffrance, la chaleur d'une
bonne parole sur le seuil des maisons.
On meurt dans des boîtes empilées,

nul ne le sait.

La tête cogne contre la vitre,
on serre les poings sur une balle de ping-pong.
Comment a-t-on tout perdu,
jusqu'à la trace des nuages ?
On ne comprend plus rien
au chant des arbres,
à la danse du vent,
aux flaques du soleil,
à l'ombre qui s'écoule sur le pré.

On ne peut rien contre les pleurs,
c'est comme le temps :
insurmontable.
Ce silence silencieux,
ce vide tout vide.
Tout encore à passer.
Rien dans rien.
Le ciel pourtant, le très bleu au matin d'hiver secret,
et le tout chaud dans la maison,
et la bonne table pour écrire.
On ne peut pas vivre sans espérer,
il faut espérer encore
et aimer.

Il serait difficile de me retrouver.
J'ai inversé toutes les directions.
Mes chiens sont morts,
j'ai jeté les lettres,
j'ai changé de lit,
j'écris sur une autre table,
mes stylos plume sont tout neufs.
Tu retrouverais tout juste les chaises,
une lampe,
un tapis,
cinq, six objets,
rien de plus.
Et je vis avec deux noms.

Souvenirs raturés
dans le coeur en givre.
La dernière nuit
tu m'as pris les mains pour dormir.

Te souviens-tu, la Provence ?
Cette maison de halte,
les matins reposés,
les après-midi de miel,
les promenades d'espoir,
le chien-loup qui riait à nos côtés.

Combien de fois

aurons-nous contenu nos pleurs ?

En aurons-nous jamais assez
de l'amour,
de son cortège de noirs enchantements,
de ses couteaux de lames,
de ses nuits prostrées, de ses réveils paniques ?

On croit avoir grandi.
Mais non,
on est tout petit dans son coeur.
A présent il faut vivre encore.

CHANT TROISIÈME

Janvier, demain,

boucles de gui sur le trottoir d'un fleuriste,
boules blanches, qu'enfant on faisait craquer sous les doigts.
Se méfier de cette nostalgie-là,
elle blesse les yeux.
Le gui, c'est fini.
Tout est fini.
Ces pensées qui déjà s'effilochent,
les nuits où je te cherchais,
les jours de pluie avec rien devant.
La petite place d'église et nos confidences,
les petits déjeuners au soleil,
le beau désordre de nos draps,
la promenade sur le canal Saint-Martin.
Tout est fini.
Les départs du train
et tes retours,
tes genoux contre mes reins;
le téléphone qui sonnait,
la lettre qu'on attendait,
le petit chat recueilli
et ces mots que j'écris
et les sentiments du monde entier,
toute la joie, toute la douleur,
la rencontre à venir et déjà derrière.

On est à peine né,
et c'est déjà fini.

Fluide tiédeur de l'air le long de l'étang,
solitude à grands bras.
Juste un pêcheur espérant quelque poisson.
Un brin de soleil tourne sous les ondes,
comme un oubli.
L'eau se berce, lent chuchotement du temps, ranimant quelques joncs
endormis.
Tout est toujours là,
immobile, sans histoire,
les mêmes herbes, la vieille barque.
A quoi bon faire le bilan ?
Echecs, espoirs, peurs,
tout coule dans l'ondoiement de l'eau,
tous les rêves s'éparpillent.
Un poisson saute, replonge,
instant de plus,
brasillement de l'éternité sur toutes les questions sans réponse.
Allons retrouver les douces pierres dans la maison, sur les étagères,
les pierres de mon père,
y inscrire encore les mains,
toucher une vérité insaisissable,
comme un soleil oublié sur des feuilles.

Ces blafards dimanches de novembre
et d'hiver muet !
Insolentes répétitions
avec lesquelles vivre encore !
Revient un rêve de la nuit,
déridant l'accablement.
La maison de l'enfance, un matin, entourée de barricades de bois
torsadé,
et beaucoup d'espace pour marcher.
Un conte de fées.
- Dans un an les barrières seront fleuries, dit mon père.
- Oui, et on pourra laisser aller les chiens.
Le mien surtout. Une bonne chienne à qui je confiais mes peines et
caresses.

Elle n'est plus là ma chienne,
dans le paradis des chiens, sûrement.
Il faut y croire.
Il faut croire aux choses simples,
aux rêves de la nuit,
à la mère, au père qu'on retrouve,
qu'on avait peur de perdre.
- Papa, ira-t-il jusqu'à la retraite ?
Toujours cette inquiétude.
Ils sont encore là, tous les deux.

Comme il faut avoir aimé des animaux,
senti le vol des oiseaux,
connu le mouvement des jeunes fleurs de prairies,
marché sur de longs sentiers dorés,
retrouvé des mains tant attendues,
craint tant de départs,
espéré des rencontres,
pour que temps et espace disparaissent, que l'accord avec le monde
se recrée,
et que tout rejaillisse, inattendu, clair et obscur, et qu'on oublie
à nouveau.
Puis s'en souvenir un dimanche blême d'hiver,
dans le même mystère.

Seul l'abîme qui nous séparait s'est effacé.
Les souvenirs sont devenus chair,
tout le corps.